L'ancien propriètaire !

Me voici au travail, une belle journée de printemps, ni trop chaude ni trop froide.
Toujours avec mes sécateurs...
Ha oui, mon métier c'est arboriculteur, maraîcher et horticulteur, je fabrique mes baumes avec les plantes naturelles, recette avec cire d'abeille et l'huile d'olive que je fabrique.
Je donne des cours aussi en pleine nature.
Les personnes se trouvent en pleine forêt avec leur petit panier sous le bras ainsi que leur petit couteau, puis nous vaquons une bonne demi journée à ramasser les tisanes, les décoctions ou encore les petites salade sauvage.
Bref je suis un gars des bois, un homme de la nature.

Donc je suis avec mes sécateurs taillant mes chers et fabuleux eucalyptus, l'endroit est paisible et à demi sauvage, si bien que le matin de bonne heure, potron-minet, quelques sangliers se laissent surprendre à museler le sol de leur groin, ou bien un lièvre aux longues oreilles détale au travers des arbres, beaucoup d'oiseaux m'accompagnent aussi, la nature me donne ses merveilles chaque jours.

Une drôle de sensation me traverse les épaules, puis la perception que quelqu'un me regarde, qu'une présence n'est pas très loin de moi.
Enfin je devine que derrière moi il y a un être.
L'invisible a cette belle faculté qu'il n'est point besoin de se tourner pour voir quelqu'un devant soi, donc je voyais un homme, là, assis sur un tronc d'arbre.

Salut me lance t-il, que fais tu mon petit gars !

Il avait un âge certain, allez je dirais une bonne soixantaine voir même soixante dix, un béret légèrement de travers lui ornait la tête, un pantalon de velours délavé et une veste friponne en vieux jean l'habillait, il tenait de ses lèvres une cigarette roulée main dont la fumée me chatouillait les marines.

Bonjour m'sieu, ben, je travail, je taille des eucalyptus comme vous le voyez !
Mais dites moi, vous êtes défunt !

Un large sourire s'échappait de sa binette, oui effectivement je suis mort voilà quelques années, une bonne trentaines pour être exact trente trois ans, et ici sur ce terrain qui était mien il se trouvait des vignes que je cultivais, du rosé, raisin à pinard.
Quand je suis parti mes enfants ont vendus le terrain vite fait, partager en quatre pour quelques billets, les générations ne sont plus ce quelles étaient mais que pouvons nous faire, pas grand chose.

Et cela vous a t-il affecté, que le terrain soit vendu aussi rapidement et juste après votre mort !

J'étais non seulement disparu mais aussi en colère, une fureur d'autant plus acerbe que ni mes souhaits ni la parole donnée n'avaient été respectés.
Les gens ne se rendent pas compte qu'une fois trépassé l'être est toujours là, vivant quelque part
et la douleur reste vraiment présente pendant encore bien des temps.
Aujourd'hui l'eau a fait son chemin en passant sous les ponts et la raison a pris le dessus sur les aigreurs, pour autant j'aime venir ici, m'assoir et regarder le silence tout en m'abreuvant des souvenir passés entre la joie et les labeurs.
Vois-tu, je suis un nostalgique.

Cette matinée fut passée à la vitesse du vent, l'ancien me contant milles et une péripéties des plus drôles au plus chagrineuses, il me fallut même le reprendre plusieurs fois sur traduction d'un patois ancien que je comprenais à demi-mots, bref, ce fut un délice, un partage de gourmandises.
Ho combien, nous êtres humains sonnes alloués de belles fonctions que malheureusement le monde moderne ne décerne pas.
Quel gâchis, de venir s'incarner sans utiliser ses ressources, mais bon …

Allez, cher vénérable, merci de ta belle rencontre.

J'ai revu plusieurs fois ce personnage sur ce même terrain et ce fut tout le temps un agréable échange et partage de vie.